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LES ROUGON-MACQUART.

ville, qui détachait une aile. Il n’y a plus de Cosaques.

Mais un gros silence se fit. Les têtes s’allongeaient, les regards suivaient le couteau. Poisson ménageait une surprise. Brusquement, il donna un dernier coup ; l’arrière-train de la bête se sépara et se tint debout, le croupion en l’air : c’était le bonnet d’évêque. Alors, l’admiration éclata. Il n’y avait que les anciens militaires pour être aimables en société. Cependant, l’oie venait de laisser échapper un flot de jus par le trou béant de son derrière ; et Boche rigolait.

— Moi, je m’abonne, murmura-t-il, pour qu’on me fasse comme ça pipi dans la bouche.

— Oh ! le sale ! crièrent les dames. Faut-il être sale !

— Non, je ne connais pas d’homme aussi dégoûtant ! dit madame Boche, plus furieuse que les autres. Tais-toi, entends-tu ! Tu dégoûterais une armée… Vous savez que c’est pour tout manger !

À ce moment, Clémence répétait, au milieu du bruit, avec insistance :

— Monsieur Poisson, écoutez, monsieur Poisson… Vous me garderez le croupion, n’est-ce pas ?

— Ma chère, le croupion vous revient de droit, dit madame Lerat, de son air discrètement égrillard.

Pourtant, l’oie était découpée. Le sergent de ville, après avoir laissé la société admirer le bonnet d’évêque pendant quelques minutes, venait d’abattre les morceaux et de les ranger autour du plat. On pouvait se servir. Mais les dames, qui dégrafaient leur robe, se plaignaient de la chaleur. Coupeau cria qu’on était chez soi, qu’il emmiellait les voisins ; et il ouvrit toute grande la porte de la rue, la noce continua au milieu du roulement des fiacres et de la bousculade des passants sur les trottoirs. Alors, les mâchoires reposées, un nouveau trou dans l’estomac, on recom-