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L’ASSOMMOIR.

dame Lorilleux pinçaient le nez, suffoqués de voir une oie pareille sur la table de la Banban.

— Eh bien ! voyons, on ne va pas la manger entière, finit par dire la blanchisseuse. Qui est-ce qui coupe ?… Non, non, pas moi ! C’est trop gros, ça me fait peur.

Coupeau s’offrait. Mon Dieu ! c’était bien simple : on empoignait les membres, on tirait dessus ; les morceaux restaient bons tout de même. Mais on se récria, on reprit de force le couteau de cuisine au zingueur ; quand il découpait, il faisait un vrai cimetière dans le plat. Pendant un moment, on chercha un homme de bonne volonté. Enfin, madame Lerat dit d’une voix aimable :

— Écoutez, c’est à monsieur Poisson… certainement, à monsieur Poisson…

Et, comme la société semblait ne pas comprendre, elle ajouta avec une intention plus flatteuse encore :

— Bien sûr, c’est à monsieur Poisson, qui a l’usage des armes.

Et elle passa au sergent de ville le couteau de cuisine qu’elle tenait à la main. Toute la table eut un rire d’aise et d’approbation. Poisson inclina la tête avec une raideur militaire et prit l’oie devant lui. Ses voisines, Gervaise et madame Boche, s’écartèrent, firent de la place à ses coudes. Il découpait lentement, les gestes élargis, les yeux fixés sur la bête, comme pour la clouer au fond du plat. Quand il enfonça le couteau dans la carcasse, qui craqua, Lorilleux eut un élan de patriotisme. Il cria :

— Hein ! si c’était un Cosaque !

— Est-ce que vous vous êtes battu avec des cosaques, monsieur Poisson ? demanda madame Boche.

— Non, avec des Bédouins, répondit le sergent de