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L’ASSOMMOIR.

barrasser de son pot ; et, quand elle le lui eut pris des mains, il bégaya, n’osant l’embrasser. Ce fut elle qui dut se hausser, poser la joue contre ses lèvres ; même il était si troublé, qu’il l’embrassa sur l’œil, rudement, à l’éborgner. Tous deux restèrent tremblants.

— Oh ! monsieur Goujet, c’est trop beau ! dit-elle en plaçant le rosier à côté des autres fleurs, qu’il dépassait de tout son panache de feuillage.

— Mais non, mais non, répétait-il sans trouver autre chose.

Et, quand il eut poussé un gros soupir, un peu remis, il annonça qu’il ne fallait pas compter sur sa mère ; elle avait sa sciatique. Gervaise fut désolée ; elle parla de mettre un morceau d’oie de côté, car elle tenait absolument à ce que madame Goujet mangeât de la bête. Cependant, on n’attendait plus personne. Coupeau devait flâner par là, dans le quartier, avec Poisson, qu’il était allé prendre chez lui, après le déjeuner ; ils ne tarderaient pas à rentrer, ils avaient promis d’être exacts pour six heures. Alors, comme le potage était presque cuit, Gervaise appela madame Lerat, en disant que le moment lui semblait venu de monter chercher les Lorilleux. Madame Lerat, aussitôt, devint très grave : c’était elle qui avait mené toute la négociation et réglé entre les deux ménages comment les choses se passeraient. Elle remit son châle et son bonnet ; elle monta, raide dans ses jupes, l’air important. En bas, la blanchisseuse continua à tourner son potage, des pâtes d’Italie, sans dire un mot. La société, brusquement sérieuse, attendait avec solennité.

Ce fut madame Lerat qui reparut la première. Elle avait fait le tour par la rue, pour donner plus de pompe à la réconciliation. Elle tint de la main la