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LES ROUGON-MACQUART.

trouver qu’un mot, elle le répéta vingt fois sur le même ton :

— Ah ! mon Dieu !… ah ! mon Dieu !… ah ! mon Dieu !…

Madame Boche, cependant, interrogeait l’enfant à son tour, tout allumée de se trouver dans cette histoire.

— Voyons, mon petit, il faut dire les choses… C’est lui qui a fermé la porte et qui vous a dit d’apporter la clef, n’est-ce pas ?

Et, baissant la voix, à l’oreille de Claude :

— Est-ce qu’il y avait une dame dans la voiture ?

L’enfant se troubla de nouveau. Il recommença son histoire, d’un air triomphant :

— Il a sauté du lit, il a mis toutes les affaires dans la malle, il est parti…

Alors, comme madame Boche le laissait aller, il tira son frère devant le robinet. Ils s’amusèrent tous les deux à faire couler l’eau.

Gervaise ne pouvait pleurer. Elle étouffait, les reins appuyés contre son baquet, le visage toujours entre les mains. De courts frissons la secouaient. Par moments, un long soupir passait, tandis qu’elle s’enfonçait davantage les poings sur les yeux, comme pour s’anéantir dans le noir de son abandon. C’était un trou de ténèbres au fond duquel il lui semblait tomber.

— Allons, ma petite, que diable ! murmurait madame Boche.

— Si vous saviez ! si vous saviez ! dit-elle enfin tout bas. Il m’a envoyée ce matin porter mon châle et mes chemises au Mont-de-Piété pour payer cette voiture…

Et elle pleura. Le souvenir de sa course au Mont-de-Piété, en précisant un fait de la matinée, lui avait arraché les sanglots qui s’étranglaient dans sa gorge.