Page:Zola - L'Assommoir.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
LES ROUGON-MACQUART.

lorsqu’elle crut reconnaître Coupeau dans l’Assommoir du père Colombe, en train de se payer des tournées de vitriol, avec Mes-Bottes, Bibi-la-Grillade et Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif. Elle passa vite, pour ne pas avoir l’air de les moucharder. Mais elle se retourna : c’était bien Coupeau qui se jetait son petit verre de schnick dans le gosier, d’un geste familier déjà. Il mentait donc, il en était donc à l’eau-de-vie, maintenant ! Elle rentra désespérée ; toute son épouvante de l’eau-de-vie la reprenait. Le vin, elle le pardonnait, parce que le vin nourrit l’ouvrier ; les alcools, au contraire, étaient des saletés, des poisons qui ôtaient à l’ouvrier le goût du pain. Ah ! le gouvernement aurait bien dû empêcher la fabrication de ces cochonneries !

En arrivant rue de la Goutte-d’Or, elle trouva toute la maison bouleversée. Ses ouvrières avaient quitté l’établi, et étaient dans la cour, à regarder en l’air. Elle interrogea Clémence.

— C’est le père Bijard qui flanque une roulée à sa femme, répondit la repasseuse. Il était sous la porte, gris comme un Polonais, à la guetter revenir du lavoir… Il lui a fait grimper l’escalier à coups de poing, et maintenant il l’assomme là-haut, dans leur chambre… Tenez, entendez-vous les cris ?

Gervaise monta rapidement. Elle avait de l’amitié pour madame Bijard, sa laveuse, qui était une femme d’un grand courage. Elle espérait mettre le holà. En haut, au sixième, la porte de la chambre était restée ouverte, quelques locataires s’exclamaient sur le carré, tandis que madame Boche, devant la porte, criait :

— Voulez-vous bien finir !… On va aller chercher les sergents de ville, entendez-vous !

Personne n’osait se risquer dans la chambre, parce