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LES ROUGON-MACQUART.

petit bout était posé sur le dossier d’une chaise ; et, par terre, un drap jeté empêchait le jupon de se salir, en frôlant le carreau. Gervaise occupait à elle seule la moitié de l’établi, avec des rideaux de mousseline brodée, sur lesquels elle poussait son fer tout droit, les bras allongés, pour éviter les faux plis. Tout d’un coup, le café qui se mit à couler bruyamment lui fit lever la tête. C’était ce louchon d’Augustine qui venait de pratiquer un trou au milieu du marc, en enfonçant une cuiller dans le filtre.

— Veux-tu te tenir tranquille ! cria Gervaise. Qu’est-ce que tu as donc dans le corps ? Nous allons boire de la boue, maintenant.

Maman Coupeau avait aligné cinq verres sur un coin libre de l’établi. Alors, les ouvrières lâchèrent leur travail. La patronne versait toujours le café elle-même, après avoir mis deux morceaux de sucre dans chaque verre. C’était l’heure attendue de la journée. Ce jour-là, comme chacune prenait son verre et s’accroupissait sur un petit banc, devant la mécanique, la porte de la rue s’ouvrit, Virginie entra, toute frissonnante.

— Ah ! mes enfants, dit-elle, ça vous coupe en deux ! Je ne sens plus mes oreilles. Quel gredin de froid !

— Tiens ! c’est madame Poisson ! s’écria Gervaise. Ah bien ! vous arrivez à propos… Vous allez prendre du café avec nous.

— Ma foi ! ce n’est pas de refus… Rien que pour traverser la rue, on a l’hiver dans les os.

Il restait du café, heureusement. Maman Coupeau alla chercher un sixième verre, et Gervaise laissa Virginie se sucrer, par politesse. Les ouvrières s’écartèrent, firent à celle-ci une petite place près de la mécanique. Elle grelotta un instant, le nez rouge, serrant