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L’ASSOMMOIR.


Cependant, Gervaise lavait son linge de couleur dans l’eau chaude, grasse de savon, qu’elle avait conservée. Quand elle eut fini, elle approcha un tréteau, jeta en travers toutes les pièces, qui faisaient à terre des mares bleuâtres. Et elle commença à rincer. Derrière elle, le robinet d’eau froide coulait au-dessus d’un vaste baquet, fixé au sol, et que traversaient deux barres de bois, pour soutenir le linge. Au-dessus, en l’air, deux autres barres passaient, où le linge achevait de s’égoutter.

— Voilà qui va être fini, ce n’est pas malheureux, dit madame Boche. Je reste pour vous aider à tordre tout ça.

— Oh ! ce n’est pas la peine, je vous remercie bien, répondit la jeune femme, qui pétrissait de ses poings et barbottait les pièces de couleur dans l’eau claire. Si j’avais des draps, je ne dis pas.

Mais il lui fallut pourtant accepter l’aide de la concierge. Elles tordaient toutes deux, chacune à un bout, une jupe, un petit lainage marron mauvais teint, d’où sortait une eau jaunâtre, lorsque madame Boche s’écria :

— Tiens ! la grande Virginie !… Qu’est-ce qu’elle vient laver ici, celle-là, avec ses quatre guenilles dans un mouchoir ?

Gervaise avait vivement levé la tête. Virginie était une fille de son âge, plus grande qu’elle, brune, jolie, malgré sa figure un peu longue. Elle avait une vieille robe noire à volants, un ruban rouge au cou ; et elle était coiffée avec soin, le chignon pris dans un filet en chenille bleue. Un instant, au milieu de l’allée centrale, elle pinça les paupières, ayant l’air de chercher ; puis, quand elle eut aperçu Gervaise, elle vint passer près d’elle, raide, insolente, balançant ses hanches,