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LES ROUGON-MACQUART.

jamais elle ne posait une question ; même elle ne se sentait pas curieuse d’avoir de leurs nouvelles. Non, ça la prenait en dehors de sa volonté. Elle avait leur idée dans la tête comme on a dans la bouche un refrain embêtant, qui ne veut pas vous lâcher. D’ailleurs, elle n’en gardait nulle rancune à Virginie, dont ce n’était point la faute, bien sûr. Elle se plaisait beaucoup avec elle, et la retenait dix fois avant de la laisser partir.

Cependant, l’hiver était venu, le quatrième hiver que les Coupeau passaient rue de la Goutte-d’Or. Cette année-là, décembre et janvier furent particulièrement durs. Il gelait à pierre fendre. Après le jour de l’an, la neige resta trois semaines dans la rue sans se fondre. Ça n’empêchait pas le travail, au contraire, car l’hiver est la belle saison des repasseuses. Il faisait joliment bon dans la boutique ! On n’y voyait jamais de glaçons aux vitres, comme chez l’épicier et le bonnetier d’en face. La mécanique, bourrée de coke, entretenait là une chaleur de baignoire ; les linges fumaient, on se serait cru en plein été ; et l’on était bien, les portes fermées, ayant chaud partout, tellement chaud, qu’on aurait fini par dormir, les yeux ouverts. Gervaise disait en riant qu’elle s’imaginait être à la campagne. En effet, les voitures ne faisaient plus de bruit en roulant sur la neige ; c’était à peine si l’on entendait le piétinement des passants ; dans le grand silence du froid, des voix d’enfants seules montaient, le tapage d’une bande de gamins, qui avaient établi une grande glissade, le long du ruisseau de la maréchalerie. Elle allait parfois à un des carreaux de la porte, enlevait de la main la buée, regardait ce que devenait le quartier par cette sacrée température ; mais pas un nez ne s’allongeait hors des boutiques voisines, le quartier, emmitouflé de neige, semblait faire