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L’ASSOMMOIR.

s’emplissait d’ombre, d’un coucher d’astre rouge, qui tombait tout d’un coup à une grande nuit. Et le forgeron et la blanchisseuse éprouvaient une douceur en sentant cette nuit les envelopper, dans ce hangar noir de suie et de limaille, où des odeurs de vieux fers montaient ; ils ne se seraient pas crus plus seuls dans le bois de Vincennes, s’ils s’étaient donné un rendez-vous au fond d’un trou d’herbe. Il lui prit la main comme s’il l’avait conquise.

Puis, dehors, ils n’échangèrent pas un mot. Il ne trouva rien ; il dit seulement qu’elle aurait pu emmener Étienne, s’il n’y avait pas eu encore une demi-heure de travail. Elle s’en allait enfin, quand il la rappela, cherchant à la garder quelques minutes de plus.

— Venez donc, vous n’avez pas tout vu… Non, vrai, c’est très-curieux.

Il la conduisit à droite, dans un autre hangar, où son patron installait toute une fabrication mécanique. Sur le seuil, elle hésita, prise d’une peur instinctive. La vaste salle, secouée par les machines, tremblait ; et de grandes ombres flottaient, tachées de feux rouges. Mais lui la rassura en souriant, jura qu’il n’y avait rien à craindre ; elle devait seulement avoir bien soin de ne pas laisser traîner ses jupes trop près des engrenages. Il marcha le premier, elle le suivit, dans ce vacarme assourdissant où toutes sortes de bruits sifflaient et ronflaient, au milieu de ces fumées peuplées d’êtres vagues, des hommes noirs affairés, des machines agitant leurs bras, qu’elle ne distinguait pas les uns des autres. Les passages étaient très-étroits, il fallait enjamber des obstacles, éviter des trous, se ranger pour se garer d’un chariot. On ne s’entendait pas parler. Elle ne voyait rien encore, tout dansait. Puis, comme elle éprouvait au-dessus de sa tête la