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L’ASSOMOIR.

quinze francs, et vraiment ce n’était pas assez, on ne pouvait pas vivre avec ça ; il fallait au moins tripler la somme. Mais Lorilleux se récriait. Où voulait-on qu’il volât quinze francs par mois ? Les gens étaient drôles, on le croyait riche parce qu’il avait de l’or chez lui. Puis, il tapait sur maman Coupeau : elle ne voulait pas se passer de café le matin, elle buvait la goutte, elle montrait les exigences d’une personne qui aurait eu de la fortune. Parbleu ! tout le monde aimait ses aises ; mais, n’est-ce pas ? quand on n’avait pas su mettre un sou de côté, on faisait comme les camarades, on se serrait le ventre. D’ailleurs, maman Coupeau n’était pas d’un âge à ne plus travailler ; elle y voyait encore joliment clair quand il s’agissait de piquer un bon morceau au fond du plat ; enfin, c’était une vieille rouée, elle rêvait de se dorloter. Même s’il en avait eu les moyens, il aurait cru mal agir en entretenant quelqu’un dans la paresse.

Cependant, Gervaise restait conciliante, discutait paisiblement ces mauvaises raisons. Elle tâchait d’attendrir les Lorilleux. Mais le mari finit par ne plus lui répondre. La femme maintenant était devant la forge, en train de dérocher un bout de chaîne, dans la petite casserole de cuivre à long manche, pleine d’eau seconde. Elle affectait toujours de tourner le dos, comme à cent lieues. Et Gervaise parlait encore, les regardant s’entêter au travail, au milieu de la poussière noire de l’atelier, le corps déjeté, les vêtements rapiécés et graisseux, devenus d’une dureté abêtie de vieux outils, dans leur besogne étroite de machine. Alors, brusquement, la colère remonta à sa gorge, elle cria :

— C’est ça, j’aime mieux ça, gardez votre argent !… Je prends maman Coupeau, entendez-vous ! J’ai ramassé un chat l’autre soir, je peux bien ramasser