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LES ROUGON-MACQUART.

en lui laissant quelque chose, dix-sept cents francs à peu près. Il voulait partir pour Paris. Alors, comme le père Macquart m’envoyait toujours des gifles sans crier gare, j’ai consenti à m’en aller avec lui ; nous avons fait le voyage avec les deux enfants. Il devait m’établir blanchisseuse et travailler de son état de chapelier. Nous aurions été très-heureux… Mais, voyez-vous, Lantier est un ambitieux, un dépensier, un homme qui ne songe qu’à son amusement. Il ne vaut pas grand’chose, enfin… Nous sommes donc descendus à l’hôtel Montmartre, rue Montmartre. Et ç’a été des dîners, des voitures, le théâtre, une montre pour lui, une robe de soie pour moi ; car il n’a pas mauvais cœur, quand il a de l’argent. Vous comprenez, tout le tremblement, si bien qu’au bout de deux mois nous étions nettoyés. C’est à ce moment-là que nous sommes venus habiter l’hôtel Boncœur et que la sacrée vie a commencé…

Elle s’interrompit, serrée tout d’un coup à la gorge, rentrant ses larmes. Elle avait fini de brosser son linge.

— Il faut que j’aille chercher mon eau chaude, murmura-t-elle.

Mais madame Boche, très contrariée de cet arrêt dans les confidences, appela le garçon du lavoir qui passait.

— Mon petit Charles, vous serez bien gentil, allez donc chercher un seau d’eau chaude à madame, qui est pressée.

Le garçon prit le seau et le rapporta plein. Gervaise paya ; c’était un sou le seau. Elle versa l’eau chaude dans le baquet, et savonna le linge une dernière fois, avec les mains, se ployant au-dessus de la batterie, au milieu d’une vapeur qui accrochait des filets de fumée grise dans ses cheveux blonds.