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L’ASSOMMOIR.

chiendent, elle tirait du linge une mousse salie, qui, par longues bavures, tombait. Alors, dans le petit bruit de la brosse, elles se rapprochèrent, elles causèrent d’une façon plus intime.

— Non, nous ne sommes pas mariés, reprit Gervaise. Moi, je ne m’en cache pas. Lantier n’est pas si gentil pour qu’on souhaite d’être sa femme. S’il n’y avait pas les enfants, allez !… J’avais quatorze ans et lui dix-huit, quand nous avons eu notre premier. L’autre est venu quatre ans plus tard… C’est arrivé comme ça arrive toujours, vous savez. Je n’étais pas heureuse chez nous ; le père Macquart, pour un oui, pour un non, m’allongeait des coups de pied dans les reins. Alors, ma foi, on songe à s’amuser dehors… On nous aurait mariés, mais je ne sais plus, nos parents n’ont pas voulu.

Elle secoua ses mains, qui rougissaient sous la mousse blanche.

— L’eau est joliment dure à Paris, dit-elle.

Madame Boche ne lavait plus que mollement. Elle s’arrêtait, faisant durer son savonnage, pour rester là, à connaître cette histoire, qui torturait sa curiosité depuis quinze jours. Sa bouche était à demi ouverte dans sa grosse face ; ses yeux, à fleur de tête, luisaient. Elle pensait, avec la satisfaction d’avoir deviné :

— C’est ça, la petite cause trop. Il y a eu du grabuge.

Puis, tout haut :

— Il n’est pas gentil, alors ?

— Ne m’en parlez pas ! répondit Gervaise, il était très bien pour moi, là-bas ; mais, depuis que nous sommes à Paris, je ne peux plus en venir à bout… Il faut vous dire que sa mère est morte l’année dernière,