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LES ROUGON-MACQUART.

— Laisse-la, tu n’es pas raisonnable, déclara tranquillement Gervaise. Nous sommes pressées, entends-tu ?

Elles étaient pressées, eh bien ! quoi ? ce n’était pas sa faute. Il ne faisait rien de mal. Il ne touchait pas, il regardait seulement. Est-ce qu’il n’était plus permis de regarder les belles choses que le bon Dieu a faites ? Elle avait tout de même de sacrés ailerons, cette dessalée de Clémence ! Elle pouvait se montrer pour deux sous et laisser tâter, personne ne regretterait son argent. L’ouvrière, cependant, ne se défendait plus, riait de ces compliments tout crus d’homme en ribotte. Et elle en venait à plaisanter avec lui. Il la blaguait sur les chemises d’homme. Alors, elle était toujours dans les chemises d’homme. Mais oui ? elle vivait là dedans. Ah ! Dieu de Dieu ! elle les connaissait joliment, elle savait comment c’était fait. Il lui en avait passé par les mains, et des centaines, et des centaines ! Tous les blonds et tous les bruns du quartier portaient de son ouvrage sur le corps. Pourtant, elle continuait, les épaules secouées de son rire ; elle avait marqué cinq grands plis à plat dans le dos, en introduisant le fer par l’ouverture du plastron ; elle rabattait le pan de devant et le plissait également à larges coups.

— Ça, c’est la bannière ! dit-elle en riant plus fort.

Ce louchon d’Augustine éclata, tant le mot lui parut drôle. On la gronda. En voilà une morveuse qui riait des mots qu’elle ne devait pas comprendre ! Clémence lui passa son fer ; l’apprentie finissait les fers sur ses torchons et sur ses bas, quand ils n’étaient plus assez chauds pour les pièces amidonnées. Mais elle empoigna celui-là si maladroitement, qu’elle se fit une manchette, une longue brûlure au poignet. Et elle