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L’ASSOMOIR.

plomb, sans ce gueux de soleil… Dans la rue, le monde est malade. Vrai ! le monde festonne…

Et comme la grande Clémence s’égayait de ce qu’il avait vu la rue soûle, il fut pris lui-même d’une joie énorme dont il faillit étrangler. Il criait :

— Hein ! les sacrés pochards ! Ils sont d’un farce !… Mais ce n’est pas leur faute, c’est le soleil…

Toute la boutique riait, même madame Putois qui n’aimait pas les ivrognes. Ce louchon d’Augustine avait un chant de poule, la bouche ouverte, suffoquant. Cependant, Gervaise soupçonnait Coupeau de n’être pas rentré tout droit, d’avoir passé une heure chez les Lorilleux, où il recevait de mauvais conseils. Quand il lui eut juré que non, elle rit à son tour, pleine d’indulgence, ne lui reprochant même pas d’avoir encore perdu une journée de travail.

— Dit-il des bêtises, mon Dieu ! murmura-t-elle. Peut-on dire des bêtises pareilles !

Puis, d’une voix maternelle :

— Va te coucher n’est-ce pas ? Tu vois, nous sommes occupées ; tu nous gênes… Ça fait trente-deux mouchoirs, madame Bijard ; et deux autres, trente-quatre…

Mais Coupeau n’avait pas sommeil. Il resta là, à se dandiner, avec un mouvement de balancier d’horloge, ricanant d’un air entêté et taquin. Gervaise, qui voulait se débarrasser de madame Bijard, appela Clémence, lui fit compter le linge pendant qu’elle l’inscrivait. Alors, à chaque pièce, cette grande vaurienne lâcha un mot cru, une saleté ; elle étalait les misères des clients, les aventures des alcôves, elle avait des plaisanteries d’atelier sur tous les trous et toutes les taches qui lui passaient par les mains. Augustine faisait celle qui ne comprend pas, ouvrait de grandes