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LES ROUGON-MACQUART.

bras nus et roses au milieu des chemises jaunes de crasse, des torchons raidis par la graisse des eaux de vaisselle, des chaussettes mangées et pourries de sueur. Pourtant, dans l’odeur forte qui battait son visage penché au-dessus des tas, une nonchalance la prenait. Elle s’était assise au bord d’un tabouret, se courbant en deux, allongeant les mains à droite, à gauche, avec des gestes ralentis, comme si elle se grisait de cette puanteur humaine, vaguement souriante, les yeux noyés. Et il semblait que ses premières paresses vinssent de là, de l’asphyxie des vieux linges empoisonnant l’air autour d’elle.

Juste au moment où elle secouait une couche d’enfant, qu’elle ne reconnaissait pas, tant elle était pisseuse, Coupeau entra.

— Cré coquin ! bégaya-t-il, quel coup de soleil !… Ça vous tape dans la tête !

Le zingueur se retint à l’établi pour ne pas tomber. C’était la première fois qu’il prenait une pareille cuite. Jusque-là, il était rentré pompette, rien de plus. Mais, cette fois, il avait un gnon sur l’œil, une claque amicale égarée dans une bousculade. Ses cheveux frisés, où des fils blancs se montraient déjà, devaient avoir épousseté une encoignure de quelque salle louche de marchand de vin, car une toile d’araignée pendait à une mèche, sur la nuque. Il restait rigolo d’ailleurs, les traits un peu tirés et vieillis, la mâchoire inférieure saillant davantage, mais toujours bon enfant, disait-il, et la peau encore assez tendre pour faire envie à une duchesse.

— Je vais t’expliquer, reprit-il en s’adressant à Gervaise. C’est Pied-de-Céleri, tu le connais bien, celui qui a une quille de bois… Alors, il part pour son pays, il a voulu nous régaler… Oh ! nous étions d’a-