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L’ASSOMOIR.

appartenant à madame Boche, qu’elle voulait soigner. Elle avait préparé de l’amidon cuit pour le remettre à neuf. Elle promenait doucement, dans le fond de la coiffe, le polonais, un petit fer arrondi des deux bouts, lorsqu’une femme entra, osseuse, la face tachée de plaques rouges, les jupes trempées. C’était une maîtresse laveuse qui employait trois ouvrières au lavoir de la Goutte-d’Or.

— Vous arrivez trop tôt, madame Bijard ! cria Gervaise. Je vous avais dit ce soir… Vous me dérangez joliment, à cette heure-ci !

Mais comme la laveuse se lamentait, craignant de ne pouvoir mettre couler le jour même, elle voulut bien lui donner le linge sale tout de suite. Elles allèrent chercher les paquets dans la pièce de gauche où couchait Étienne, et revinrent avec des brassées énormes, qu’elles empilèrent sur le carreau, au fond de la boutique. Le triage dura une grosse demi-heure. Gervaise faisait des tas autour d’elle, jetait ensemble les chemises d’homme, les chemises de femme, les mouchoirs, les chaussettes, les torchons. Quand une pièce d’un nouveau client lui passait entre les mains, elle la marquait d’une croix au fil rouge, pour la reconnaître. Dans l’air chaud, une puanteur fade montait de tout ce linge sale remué.

— Oh ! la, la, ça gazouille ! dit Clémence, en se bouchant le nez.

— Pardi ! si c’était propre, on ne nous le donnerait pas, expliqua tranquillement Gervaise. Ça sent son fruit, quoi !… Nous disions quatorze chemises de femme, n’est-ce pas, madame Bijard ?… quinze, seize, dix-sept…

Elle continua à compter tout haut. Elle n’avait aucun dégoût, habituée à l’ordure ; elle enfonçait ses