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LES ROUGON-MACQUART.

— Ah ! non, mademoiselle Clémence, remettez votre camisole. Vous savez, je n’aime pas les indécences. Pendant que vous y êtes, montrez toute votre boutique. Il y a déjà trois hommes arrêtés en face.

La grande Clémence la traita de vieille bête, entre ses dents. Elle suffoquait, elle pouvait bien se mettre à l’aise ; tout le monde n’avait pas une peau d’amadou. D’ailleurs, est-ce qu’on voyait quelque chose ? Et elle levait les bras, sa gorge puissante de belle fille crevait sa chemise, ses épaules faisaient craquer les courtes manches. Clémence s’en donnait à se vider les moelles avant trente ans ; le lendemain des noces sérieuses, elle ne sentait plus le carreau sous ses pieds, elle dormait sur la besogne, la tête et le ventre comme bourrés de chiffons. Mais on la gardait quand même, car pas une ouvrière ne pouvait se flatter de repasser une chemise d’homme avec son chic. Elle avait la spécialité des chemises d’homme.

— C’est à moi, allez ! finit-elle par déclarer, en se donnant des claques sur la gorge. Et ça ne mord pas, ça ne fait bobo à personne.

— Clémence, remettez votre camisole, dit Gervaise. Madame Putois a raison, ce n’est pas convenable… On prendrait ma maison pour ce qu’elle n’est pas.

Alors, la grande Clémence se rhabilla en bougonnant. En voilà des giries ! Avec ça que les passants n’avaient jamais vu des nénais ! Et elle soulagea sa colère sur l’apprentie, ce louchon d’Augustine, qui repassait à côté d’elle du linge plat, des bas et des mouchoirs ; elle la bouscula, la poussa avec son coude. Mais Augustine, hargneuse, d’une méchanceté sournoise de monstre et de souffre-douleur, cracha par derrière sur sa robe, sans qu’on la vît, pour se venger.

Gervaise pourtant venait de commencer un bonnet