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L’ASSOMOIR.

elle entendait le souffle. Il lui semblait faire quelque chose de très hardi, se jeter au beau milieu d’une machine en branle, pendant que les marteaux du serrurier et les rabots de l’ébéniste tapaient et sifflaient, au fond des ateliers du rez-de-chaussée. Ce jour-là, les eaux de la teinturerie coulant sous le porche, étaient d’un vert pomme très-tendre. Elle les enjamba, en souriant ; elle voyait dans cette couleur un heureux présage.

Le rendez-vous avec le propriétaire était dans la loge même des Boche. M. Marescot, un grand coutelier de la rue de la Paix, avait jadis tourné la meule, le long des trottoirs. On le disait riche aujourd’hui à plusieurs millions. C’était un homme de cinquante-cinq ans, fort, osseux, décoré, étalant ses mains immenses d’ancien ouvrier ; et un de ses bonheurs était d’emporter les couteaux et les ciseaux de ses locataires, qu’il aiguisait lui-même, par plaisir. Il passait pour n’être pas fier, parce qu’il restait des heures chez ses concierges, caché dans l’ombre de la loge, à demander des comptes. Il traitait là toutes ses affaires. Les Coupeau le trouvèrent devant la table graisseuse de madame Boche, écoutant comment la couturière du second, dans l’escalier A, avait refusé de payer, d’un mot dégoûtant. Puis, quand on eut signé le bail, il donna une poignée de main au zingueur. Lui, aimait les ouvriers. Autrefois, il avait eu joliment du tirage. Mais le travail menait à tout. Et, après avoir compté les deux cent cinquante francs du premier semestre, qu’il engloutit dans sa vaste poche, il dit sa vie, il montra sa décoration.

Gervaise, cependant, demeurait un peu gênée en voyant l’attitude des Boche. Ils affectaient de ne pas la connaître. Ils s’empressaient autour du proprié-