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L’ASSOMMOIR.

et raide comme un saucisson. Ah ! il connaîtrait le plafond, par exemple ; il y avait une fente, au coin de l’alcôve, qu’il aurait dessinée les yeux fermés. Puis, quand il s’installa dans le fauteuil, ce fut une autre histoire. Est-ce qu’il resterait longtemps cloué là, pareil à une momie ? La rue n’était pas si drôle, il n’y passait personne, ça puait l’eau de javelle toute la journée. Non, vrai, il se faisait trop vieux, il aurait donné dix ans de sa vie pour savoir seulement comment se portaient les fortifications. Et il revenait toujours à des accusations violentes contre le sort. Ça n’était pas juste, son accident ; ça n’aurait pas dû lui arriver, à lui un bon ouvrier, pas fainéant, pas soûlard. À d’autres peut-être, il aurait compris.

— Le papa Coupeau, disait-il, s’est cassé le cou, un jour de ribotte. Je ne puis pas dire que c’était mérité, mais enfin la chose s’expliquait… Moi, j’étais à jeun, tranquille comme Baptiste, sans une goutte de liquide dans le corps, et voilà que je dégringole en voulant me tourner pour faire une risette à Nana !… Vous ne trouvez pas ça trop fort ? S’il y a un bon Dieu, il arrange drôlement les choses. Jamais je n’avalerai ça.

Et, quand les jambes lui revinrent, il garda une sourde rancune contre le travail. C’était un métier de malheur, de passer ses journées comme les chats, le long des gouttières. Eux pas bêtes, les bourgeois ! ils vous envoyaient à la mort, bien trop poltrons pour se risquer sur une échelle, s’installant solidement au coin de leur feu et se fichant du pauvre monde. Et il en arrivait à dire que chacun aurait dû poser son zinc sur sa maison. Dame ! en bonne justice, on devait en venir là : si tu ne veux pas être mouillé, mets-toi à couvert. Puis, il regrettait de ne pas avoir appris un autre métier, plus joli et moins dangereux, celui d’é-