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L’ASSOMMOIR.

son air raisonnable, avec son tranquille sourire, les comptes de cette débâcle de leurs économies. N’était-ce pas déjà une consolation d’employer si bien cet argent, de l’avoir eu sous la main, au moment de leur malheur ? Et, sans un regret, d’une main soigneuse, elle replaçait le livret derrière la pendule, sous le globe.

Les Goujet se montrèrent très-gentils pour Gervaise pendant la maladie de Coupeau. Madame Goujet était à son entière disposition ; elle ne descendait pas une fois sans lui demander si elle avait besoin de sucre, de beurre, de sel ; elle lui offrait toujours le premier bouillon, les soirs où elle mettait un pot au feu ; même, si elle la voyait trop occupée, elle soignait sa cuisine, lui donnait un coup de main pour la vaisselle. Goujet, chaque matin, prenait les seaux de la jeune femme, allait les emplir à la fontaine de la rue des Poissonniers ; c’était une économie de deux sous. Puis, après le dîner, quand la famille n’envahissait pas la chambre, les Goujet venaient tenir compagnie aux Coupeau. Pendant deux heures, jusqu’à dix heures, le forgeron fumait sa pipe, en regardant Gervaise tourner autour du malade. Il ne disait pas dix paroles de la soirée. Sa grande face blonde enfoncée entre ses épaules de colosse, il s’attendrissait à la voir verser de la tisane dans une tasse, remuer le sucre sans faire de bruit avec la cuiller. Lorsqu’elle bordait le lit et qu’elle encourageait Coupeau d’une voix douce, il restait tout secoué. Jamais il n’avait rencontré une aussi brave femme. Ça ne lui allait même pas mal de boiter, car elle en avait plus de mérite encore à se décarcasser tout le long de la journée auprès de son mari. On ne pouvait pas dire, elle ne s’asseyait pas un quart d’heure, le temps de manger. Elle courait sans cesse chez le