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L’ASSOMMOIR.

— Bonsoir, Nana… Allons, Nana, soyez belle fille…

Quand ils furent enfin partis, Coupeau mit sa chaise tout contre le lit, et acheva sa pipe, en tenant dans la sienne la main de Gervaise. Il fumait lentement, lâchant des phrases entre deux bouffées, très ému.

— Hein ? ma vieille, ils t’ont cassé la tête ? Tu comprends, je n’ai pas pu les empêcher de venir. Après tout, ça prouve leur amitié… Mais, n’est-ce pas ? on est mieux seul. Moi, j’avais besoin d’être un peu seul, comme ça, avec toi. La soirée m’a paru d’un long !… Cette pauvre poule ! elle a eu bien du bobo ! Ces crapoussins-là, quand ça vient au monde, ça ne se doute guère du mal que ça fait. Vrai, ça doit être comme si on vous ouvrait les reins… Où est-il le bobo, que je l’embrasse ?

Il lui avait glissé délicatement sous le dos une de ses grosses mains, et il l’attirait, il lui baisait le ventre à travers le drap, pris d’un attendrissement d’homme rude pour cette fécondité endolorie encore. Il demandait s’il ne lui faisait pas du mal, il aurait voulu la guérir en soufflant dessus. Et Gervaise était bien heureuse. Elle lui jurait qu’elle ne souffrait plus du tout. Elle songeait seulement à se relever le plus tôt possible, parce qu’il ne fallait pas se croiser les bras, maintenant. Mais lui, la rassurait. Est-ce qu’il ne se chargeait pas de gagner la pâtée de la petite ? Il serait un grand lâche, si jamais il lui laissait cette gamine sur le dos. Ça ne lui semblait pas malin de savoir faire un enfant : le mérite, pas vrai ? c’était de le nourrir.

Coupeau, cette nuit-là, ne dormit guère. Il avait couvert le feu du poêle. Toutes les heures, il dut se relever pour donner au bébé des cuillerées d’eau sucrée tiède. Ça ne l’empêcha pas de partir le matin au