Page:Zola - L'Assommoir.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
L’ASSOMMOIR.

affaires et avoir sous la main une casserole ou un poêlon, quand ils en auraient besoin. Ils désespéraient d’économiser une si grosse somme en moins de deux années, lorsqu’il leur arriva une bonne chance : un vieux monsieur de Plassans leur demanda Claude, l’aîné des petits, pour le placer là-bas au collège ; une toquade généreuse d’un original, amateur de tableaux, que des bonshommes barbouillés autrefois par le mioche avaient vivement frappé. Claude leur coûtait déjà les yeux de la tête. Quand ils n’eurent plus à leur charge que le cadet, Étienne, ils amassèrent les trois cent cinquante francs en sept mois et demi. Le jour où ils achetèrent leurs meubles, chez un revendeur de la rue Belhomme, ils firent, avant de rentrer, une promenade sur les boulevards extérieurs, le cœur gonflé d’une grosse joie. Il y avait un lit, une table de nuit, une commode à dessus de marbre, une armoire, une table ronde avec sa toile cirée, six chaises, le tout en vieil acajou ; sans compter la literie, du linge, des ustensiles de cuisine presque neufs. C’était pour eux comme une entrée sérieuse et définitive dans la vie, quelque chose qui, en les faisant propriétaires, leur donnait de l’importance au milieu des gens bien posés du quartier.

Le choix d’un logement, depuis deux mois, les occupait. Ils voulurent, avant tout, en louer un dans la grande maison, rue de la Goutte-d’Or. Mais pas une chambre n’y était libre, ils durent renoncer à leur ancien rêve. Pour dire la vérité, Gervaise ne fut pas fâchée, au fond : le voisinage des Lorilleux, porte à porte, l’effrayait beaucoup. Alors, ils cherchèrent ailleurs. Coupeau, très-justement, tenait à ne pas s’éloigner de l’atelier de madame Fauconnier, pour que Gervaise pût, d’un saut, être chez elle à toutes