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L’ASSOMMOIR.

Cependant, M. Madinier avait pris une assiette. Les demoiselles et les dames seules, madame Lerat, madame Fauconnier, mademoiselle Remanjou, déposèrent leur pièce de cent sous les premières, discrètement. Ensuite, les messieurs s’isolèrent à l’autre bout de la salle, firent les comptes. On était quinze ; ça montait donc à soixante-quinze francs. Lorsque les soixante-quinze francs furent dans l’assiette, chaque homme ajouta cinq sous pour les garçons. Il fallut un quart d’heure de calculs laborieux, avant de tout régler à la satisfaction de chacun.

Mais quand M. Madinier, qui voulait avoir affaire au patron, eut demandé le marchand de vin, la société resta saisie, en entendant celui-ci dire avec un sourire que ça ne faisait pas du tout son compte. Il y avait des suppléments. Et, comme ce mot de « supplément » était accueilli par des exclamations furibondes, il donna le détail : vingt-cinq litres, au lieu de vingt, nombre convenu à l’avance ; les œufs à la neige, qu’il avait ajoutés, en voyant le dessert un peu maigre ; enfin un carafon de rhum, servi avec le café, dans le cas où des personnes aimeraient le rhum. Alors, une querelle formidable s’engagea. Coupeau, pris à partie, se débattait : jamais il n’avait parlé de vingt litres ; quant aux œufs à la neige, ils rentraient dans le dessert, tant pis si le gargotier les avait ajoutés de son plein gré ; restait le carafon de rhum, une frime, une façon de grossir la note, en glissant sur la table des liqueurs dont on ne se méfiait pas.

— Il était sur le plateau au café, criait-il ; eh bien ! il doit être compté avec le café… Fichez-nous la paix. Emportez votre argent, et du tonnerre si nous remettons jamais les pieds dans votre baraque !