Page:Zola - L'Assommoir.djvu/108

Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
LES ROUGON-MACQUART.

verdâtre s’épaississait des buées montant de la table, tachée de vin et de sauce, encombrée de la débâcle du couvert ; et, le long du mur, des assiettes sales, des litres vides, posés là par les garçons, semblaient les ordures balayées et culbutées de la nappe. Il faisait très chaud. Les hommes retirèrent leurs redingotes et continuèrent à manger en manches de chemise.

— Madame Boche, je vous en prie, ne les bourrez pas tant, dit Gervaise, qui parlait peu, surveillant de loin Claude et Étienne.

Elle se leva, alla causer un instant, debout derrière les chaises des petits. Les enfants, ça n’avait pas de raison, ça mangeait toute une journée sans refuser les morceaux ; et elle leur servit elle-même du poulet, un peu de blanc. Mais maman Coupeau dit qu’ils pouvaient bien, pour une fois, se donner une indigestion. Madame Boche, à voix basse, accusa Boche de pincer les genoux de madame Lerat. Oh ! c’était un sournois, il godaillait. Elle avait bien vu sa main disparaître. S’il recommençait, jour de Dieu ! elle était femme à lui flanquer une carafe à la tête.

Dans le silence, M. Madinier causait politique.

— Leur loi du 31 mai est une abomination. Maintenant, il faut deux ans de domicile. Trois millions de citoyens sont rayés des listes… On m’a dit que Bonaparte, au fond, est très vexé, car il aime le peuple, il en a donné des preuves.

Lui, était républicain ; mais il admirait le prince, à cause de son oncle, un homme comme il n’en reviendrait jamais plus. Bibi-la-Grillade se fâcha : il avait travaillé à l’Élysée, il avait vu le Bonaparte comme il voyait Mes-Bottes, là, en face de lui ; eh bien ! ce mufe de président ressemblait à un roussin, voilà !