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LES ROUGON-MACQUART.

sur la table une gibelotte de lapin, dans un vaste plat, creux comme un saladier. Coupeau, très blagueur, en lança une bonne.

— Dites donc, garçon, c’est du lapin de gouttière, ça… Il miaule encore.

En effet, un léger miaulement, parfaitement imité, semblait sortir du plat. C’était Coupeau, qui faisait ça avec la gorge, sans remuer les lèvres ; un talent de société d’un succès certain, si bien qu’il ne mangeait jamais dehors sans commander une gibelotte. Ensuite, il ronronna. Les dames se tamponnaient la figure avec leurs serviettes, parce qu’elles riaient trop.

Madame Fauconnier demanda la tête ; elle n’aimait que la tête. Mademoiselle Remanjou adorait les lardons. Et, comme Boche disait préférer les petits ognons, quand ils étaient bien revenus, madame Lerat pinça les lèvres, en murmurant :

— Je comprends ça.

Elle était sèche comme un échalas, menait une vie d’ouvrière cloîtrée dans son train-train, n’avait pas vu le nez d’un homme chez elle depuis son veuvage, tout en montrant une préoccupation continuelle de l’ordure, une manie de mots à double entente et d’allusions polissonnes, d’une telle profondeur, qu’elle seule se comprenait. Boche, se penchant et réclamant une explication, tout bas, à l’oreille, elle reprit :

— Sans doute les petits ognons… Ça suffit, je pense.

Mais la conversation devenait sérieuse. Chacun parlait de son métier. M. Madinier exaltait le cartonnage : il y avait de vrais artistes dans la partie ; ainsi, il citait des boîtes d’étrennes, dont il connaissait les modèles, des merveilles de luxe. Lorilleux, pourtant, ri-