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L’ASSOMMOIR.

un sapin par un commissionnaire. Ah ! non, vous savez, blague dans le coin, je la trouve raide. Avec ça, il pleuvait si fort, que j’avais de l’eau dans mes poches… Vrai, on y pêcherait encore une friture.

La société riait, se tordait. Cet animal de Mes-Bottes était allumé ; il avait bien déjà ses deux litres ; histoire seulement de ne pas se laisser embêter par tout ce sirop de grenouille que l’orage avait craché sur ses abatis.

— Eh ! le comte de Gigot-Fin ! dit Coupeau, va t’asseoir là-bas, à côté de madame Gaudron. Tu vois, on t’attendait.

Oh ! ça ne l’embarrassait pas, il rattraperait les autres ; et il redemanda trois fois du potage, des assiettes de vermicelle, dans lesquelles il coupait d’énormes tranches de pain. Alors, quand on eut attaqué les tourtes, il devint la profonde admiration de toute la table. Comme il bâfrait ! Les garçons effarés faisaient la chaîne pour lui passer du pain, des morceaux finement coupés qu’il avalait d’une bouchée. Il finit par se fâcher ; il voulait un pain, à côté de lui. Le marchand de vin, très-inquiet, se montra un instant sur le seuil de la salle. La société, qui l’attendait, se tordit de nouveau. Ça la lui coupait, au gargotier ! Quel sacré zig tout de même, ce Mes-Bottes ! Est-ce qu’un jour il n’avait pas mangé douze œufs durs et bu douze verres de vin, pendant que les douze coups de midi sonnaient ! On n’en rencontre pas beaucoup de cette force-là. Et mademoiselle Remanjou, attendrie, regardait Mes-Bottes mâcher, tandis que M. Madinier, cherchant un mot pour exprimer son étonnement presque respectueux, déclara une telle capacité extraordinaire.

Il y eut un silence. Un garçon venait de poser