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GERMINAL.

sans façon, le verbe haut, le geste vif, avec une allure d’ancien officier de cavalerie. Bien qu’il eût dépassé la cinquantaine, ses cheveux coupés ras et ses grosses moustaches étaient d’un noir d’encre.

— Oui, c’est moi, bonjour… Ne vous dérangez donc pas !

Il s’était assis, pendant que la famille s’exclamait. Elle finit par se remettre à son chocolat.

— Est-ce que tu as quelque chose à me dire ? demanda M. Grégoire.

— Non, rien du tout, se hâta de répondre Deneulin. Je suis sorti à cheval pour me dérouiller un peu, et comme je passais devant votre porte, j’ai voulu vous donner un petit bonjour.

Cécile le questionna sur Jeanne et sur Lucie, ses filles. Elles allaient parfaitement, la première ne lâchait plus la peinture, tandis que l’autre, l’aînée, cultivait sa voix au piano, du matin au soir. Et il y avait un tremblement léger dans sa voix, un malaise qu’il dissimulait, sous les éclats de sa gaieté.

M. Grégoire reprit :

— Et tout marche-t-il bien, à la fosse ?

— Dame ! je suis bousculé avec les camarades, par cette saleté de crise… Ah ! nous payons les années prospères ! On a trop bâti d’usines, trop construit de voies ferrées, trop immobilisé de capitaux en vue d’une production formidable. Et, aujourd’hui, l’argent dort, on n’en trouve plus pour faire fonctionner tout ça… Heureusement, rien n’est désespéré, je m’en tirerai quand même.

Comme son cousin, il avait eu en héritage un denier des mines de Montsou. Mais lui, ingénieur entreprenant, tourmenté du besoin d’une royale fortune, s’était hâté de vendre, lorsque le denier avait atteint le million. Depuis des mois, il mûrissait un plan. Sa femme tenait d’un oncle la petite concession de Vandame, où il n’y avait