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LES ROUGON-MACQUART.

cheveux châtains, sa face ronde au petit nez volontaire, noyé entre les joues. La couverture avait glissé, et elle respirait si doucement, que son haleine ne soulevait même pas sa gorge déjà lourde.

— Ce maudit vent l’aura empêchée de fermer les yeux, dit la mère doucement.

Le père, d’un geste, lui imposa silence. Tous les deux se penchaient, regardaient avec adoration, dans sa nudité de vierge, cette fille si longtemps désirée, qu’ils avaient eue sur le tard, lorsqu’ils ne l’espéraient plus. Ils la voyaient parfaite, point trop grasse, jamais assez bien nourrie. Et elle dormait toujours, sans les sentir près d’elle, leur visage contre le sien. Pourtant, une onde légère troubla sa face immobile. Ils tremblèrent qu’elle ne s’éveillât, ils s’en allèrent sur la pointe des pieds.

— Chut ! dit M. Grégoire à la porte. Si elle n’a pas dormi, il faut la laisser dormir.

— Tant qu’elle voudra, la mignonne, appuya madame Grégoire. Nous attendrons.

Ils descendirent, s’installèrent dans les fauteuils de la salle à manger ; tandis que les bonnes, riant du gros sommeil de mademoiselle, tenaient sans grogner le chocolat sur le fourneau. Lui, avait pris un journal ; elle, tricotait un grand couvre-pieds de laine. Il faisait très chaud, pas un bruit ne venait de la maison muette.

La fortune des Grégoire, quarante mille francs de rentes environ, était tout entière dans une action des mines de Montsou. Ils en racontaient avec complaisance l’origine, qui partait de la création même de la Compagnie.

Vers le commencement du dernier siècle, un coup de folie s’était déclaré, de Lille à Valenciennes, pour la recherche de la houille. Les succès des concessionnaires, qui devaient plus tard former la Compagnie d’Anzin, avaient exalté toutes les têtes. Dans chaque com-