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LES ROUGON-MACQUART.

Étienne ne put retenir un geste douloureux.

— Eux aussi !

Une rougeur était montée aux joues blêmes de la Maheude, tandis que ses yeux s’allumaient. Mais ses épaules s’affaissèrent, comme sous l’écrasement du destin.

— Que veux-tu ? eux après les autres… Tous y ont laissé la peau, c’est leur tour.

Elle se tut, des moulineurs qui roulaient des berlines les dérangèrent. Par les grandes fenêtres poussiéreuses, le petit jour entrait, noyant les lanternes d’une lueur grise ; et le branle de la machine reprenait toutes les trois minutes, les câbles se déroulaient, les cages continuaient à engloutir des hommes.

— Allons, les flâneurs, dépêchons-nous ! cria Pierron. Embarquez, jamais nous n’en finirons aujourd’hui.

La Maheude, qu’il regardait, ne bougea pas. Elle avait déjà laissé passer trois cages, elle dit, comme se réveillant et se souvenant des premiers mots d’Étienne :

— Alors, tu pars ?

— Oui, ce matin.

— Tu as raison, vaut mieux être ailleurs, quand on le peut… Et ça me fait plaisir de t’avoir vu, parce que tu sauras au moins que je n’ai rien sur le cœur contre toi. Un moment, je t’aurais assommé, après toutes ces tueries. Mais on réfléchit, n’est-ce pas ? on s’aperçoit qu’au bout du compte ce n’est la faute de personne… Non, non, ce n’est pas ta faute, c’est la faute de tout le monde.

Maintenant, elle causait avec tranquillité de ses morts, de son homme, de Zacharie, de Catherine ; et des larmes parurent seulement dans ses yeux, lorsqu’elle prononça le nom d’Alzire. Elle était revenue à son calme de femme raisonnable, elle jugeait très sagement les choses. Ça ne porterait pas chance aux bourgeois, d’avoir tué tant de pauvres gens. Bien sûr qu’ils en seraient pu-