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LES ROUGON-MACQUART.

leur nombre s’accroître. Presque tous marchaient isolés, ceux qui venaient par groupes se suivaient à la file, éreintés déjà, las des autres et d’eux-mêmes. Il en aperçut un, très vieux, dont les yeux luisaient, pareils à des charbons, sous un front livide. Un autre, un jeune, soufflait, d’un souffle contenu de tempête. Beaucoup avaient leurs sabots à la main ; et l’on entendait à peine sur le sol le bruit mou de leurs gros bas de laine. C’était un ruissellement sans fin, une débâcle, une marche forcée d’armée battue, allant toujours la tête basse, enragée sourdement du besoin de reprendre la lutte et de se venger.

Lorsque Étienne arriva, Jean-Bart sortait de l’ombre, les lanternes accrochées aux tréteaux brûlaient encore, dans l’aube naissante. Au-dessus des bâtiments obscurs, un échappement s’élevait comme une aigrette blanche, délicatement teintée de carmin. Il passa par l’escalier du criblage, pour se rendre à la recette.

La descente commençait, des ouvriers montaient de la baraque. Un instant, il resta immobile, dans ce vacarme et cette agitation. Des roulements de berlines ébranlaient les dalles de fonte, les bobines tournaient, déroulaient les câbles, au milieu des éclats du porte-voix, de la sonnerie des timbres, des coups de massue sur le billot du signal ; et il retrouvait le monstre avalant sa ration de chair humaine, les cages émergeant, replongeant, engouffrant des charges d’hommes, sans un arrêt, avec le coup de gosier facile d’un géant vorace. Depuis son accident, il avait une horreur nerveuse de la mine. Ces cages qui s’enfonçaient, lui tiraient les entrailles. Il dut tourner la tête, le puits l’exaspérait.

Mais, dans la vaste salle encore sombre, que les lanternes épuisées éclairaient d’une clarté louche, il n’apercevait aucun visage ami. Les mineurs qui attendaient là, pieds nus, la lampe à la main, le regardaient de leurs gros yeux inquiets, puis baissaient le front, se reculaient