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GERMINAL.

Un instant, sur le chemin qui devenait rose, Étienne s’arrêta. Il faisait bon respirer cet air si pur du printemps précoce. La matinée s’annonçait superbe. Lentement, le jour grandissait, la vie de la terre montait avec le soleil. Et il se remit en marche, tapant fortement son bâton de cornouiller, regardant au loin la plaine sortir des vapeurs de la nuit. Il n’avait revu personne, la Maheude était venue une seule fois à l’hôpital, puis n’avait pu revenir sans doute. Mais il savait que tout le coron des Deux-Cent-Quarante descendait à Jean-Bart maintenant, et qu’elle-même y avait repris du travail.

Peu à peu, les chemins déserts se peuplaient, des charbonniers passaient continuellement près d’Étienne, la face blême, silencieux. La Compagnie, disait-on, abusait de son triomphe. Après deux mois et demi de grève, vaincus par la faim, lorsqu’ils étaient retournés aux fosses, ils avaient dû accepter le tarif de boisage, cette baisse de salaire déguisée, exécrable à présent, ensanglantée du sang des camarades. On leur volait une heure de travail, on les faisait mentir à leur serment de ne pas se soumettre, et ce parjure imposé leur restait en travers de la gorge, comme une poche de fiel. Le travail recommençait partout, à Mirou, à Madeleine, à Crèvecœur, à la Victoire. Partout, dans la brume du matin, le long des chemins noyés de ténèbres, le troupeau piétinait, des files d’hommes trottant le nez vers la terre, ainsi que du bétail mené à l’abattoir. Ils grelottaient sous leurs minces vêtements de toile, ils croisaient les bras, roulaient les reins, gonflaient le dos, que le briquet, logé entre la chemise et la veste, rendait bossu. Et, dans ce retour en masse, dans ces ombres muettes, toutes noires, sans un rire, sans un regard de côté, on sentait les dents serrées de colère, le cœur gonflé de haine, l’unique résignation à la nécessité du ventre.

Plus il approchait de la fosse, et plus Étienne voyait