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GERMINAL.

des roches roulaient jusqu’à ses pieds. Quand il aperçut une lampe, il pleura. Ses yeux clignotants suivaient la lumière, il ne se lassait pas de la voir, en extase devant ce point rougeâtre qui tachait à peine les ténèbres. Mais des camarades l’emportaient, il les laissa introduire, entre ses dents serrés, des cuillerées de bouillon. Ce fut seulement dans la galerie de Réquillart qu’il reconnut quelqu’un, l’ingénieur Négrel, debout devant lui ; et ces deux hommes qui se méprisaient, l’ouvrier révolté, le chef sceptique, se jetèrent au cou l’un de l’autre, sanglotèrent à grands sanglots, dans le bouleversement profond de toute l’humanité qui était en eux. C’était une tristesse immense, la misère des générations, l’excès de douleur où peut tomber la vie.

Au jour, la Maheude, abattue près de Catherine morte, jeta un cri, puis un autre, puis un autre, de grandes plaintes très longues, incessantes. Plusieurs cadavres étaient déjà remontés et alignés par terre : Chaval que l’on crut assommé sous un éboulement, un galibot et deux haveurs également fracassés, le crâne vide de cervelle, le ventre gonflé d’eau. Des femmes, dans la foule, perdaient la raison, déchiraient leurs jupes, s’égratignaient la face. Lorsqu’on le sortit enfin, après l’avoir habitué aux lampes et nourri un peu, Étienne apparut décharné, les cheveux tout blancs ; et on s’écartait, on frémissait devant ce vieillard. La Maheude s’arrêta de crier, pour le regarder stupidement, de ses grands yeux fixes.