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GERMINAL.

Encore un jour, et encore un jour. Étienne, à chaque frisson de l’eau, recevait un léger coup de l’homme qu’il avait tué, le simple coudoiement d’un voisin qui rappelait sa présence. Et, toutes les fois, il tressaillait. Continuellement, il le voyait, gonflé, verdi, avec ses moustaches rouges, dans sa face broyée. Puis, il ne se souvenait plus, il ne l’avait pas tué, l’autre nageait et allait le mordre. Catherine, maintenant, était secouée de crises de larmes, longues, interminables, après lesquelles un accablement l’anéantissait. Elle finit par tomber dans un état de somnolence invincible. Il la réveillait, elle bégayait des mots, elle se rendormait tout de suite, sans même soulever les paupières ; et, de crainte qu’elle ne se noyât, il lui avait passé un bras à la taille. C’était lui, maintenant, qui répondait aux camarades. Les coups de rivelaine approchaient, il les entendait derrière son dos. Mais ses forces diminuaient aussi, il avait perdu tout courage à taper. On les savait là, pourquoi se fatiguer encore ? Cela ne l’intéressait plus, qu’on pût venir. Dans l’hébétement de son attente, il en était, pendant des heures, à oublier ce qu’il attendait.

Un soulagement les réconforta un peu. L’eau baissait, le corps de Chaval s’éloigna. Depuis neuf jours, on travaillait à leur délivrance, et ils faisaient, pour la première fois, quelques pas dans la galerie, lorsqu’une épouvantable commotion les jeta sur le sol. Ils se cherchèrent, ils restèrent aux bras l’un de l’autre, fous, ne comprenant pas, croyant que la catastrophe recommençait. Rien ne remuait plus, le bruit des rivelaines avait cessé.

Dans le coin où ils se tenaient assis, côte à côte, Catherine eut un léger rire.

— Il doit faire bon dehors… Viens, sortons d’ici.

Étienne, d’abord, lutta contre cette démence. Mais une contagion ébranlait sa tête plus solide, il perdit la sensation juste du réel. Tous leurs sens se faussaient, surtout ceux