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LES ROUGON-MACQUART.

pieds, filant par ces boyaux minces de la terre, emplis de son grand corps. Les rues se succédaient, les carrefours ouvraient leur fourche, sans qu’il hésitât. Où allait-il ? là-bas peut-être, à cette vision de sa jeunesse, au moulin où il était né, sur le bord de la Scarpe, au souvenir confus du soleil, brûlant en l’air comme une grosse lampe. Il voulait vivre, sa mémoire de bête s’éveillait, l’envie de respirer encore de l’air des plaines le poussait droit devant lui, jusqu’à ce qu’il eût découvert le trou, la sortie sous le ciel chaud, dans la lumière. Et une révolte emportait sa résignation ancienne, cette fosse l’assassinait, après l’avoir aveuglé. L’eau, qui le poursuivait, le fouettait aux cuisses, le mordait à la croupe. Mais à mesure qu’il s’enfonçait, les galeries devenaient plus étroites, abaissant le toit, renflant le mur. Il galopait quand même, il s’écorchait, laissait aux boisages des lambeaux de ses membres. De toutes parts, la mine semblait se resserrer sur lui, pour le prendre et l’étouffer.

Alors, Étienne et Catherine, comme il arrivait près d’eux, l’aperçurent qui s’étranglait entre les roches. Il avait buté, il s’était cassé les deux jambes de devant. D’un dernier effort, il se traîna quelques mètres ; mais ses flancs ne passaient plus, il restait enveloppé, garrotté par la terre. Et sa tête saignante s’allongea, chercha encore une fente, de ses gros yeux troubles. L’eau le recouvrait rapidement, il se mit à hennir, du râle prolongé, atroce, dont les autres chevaux étaient morts déjà, dans l’écurie. Ce fut une agonie effroyable, cette vieille bête, fracassée, immobilisée, se débattant à cette profondeur, loin du jour. Son cri de détresse ne cessait pas, le flot noyait sa crinière, qu’il le poussait plus rauque, de sa bouche tendue et grande ouverte. Il y eut un dernier ronflement, le bruit sourd d’un tonneau qui s’emplit. Puis un grand silence tomba.

— Ah ! mon Dieu ! emmène-moi, sanglotait Catherine.