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LES ROUGON-MACQUART.

devenue veuve, à étaler sa propre misère, avec des yeux luisants de convoitise. Puis, d’un air hésitant, elle murmura :

— J’ai la clef. Si monsieur et madame y tiennent absolument… Le grand-père est là.

Les Grégoire, stupéfaits, la regardèrent. Comment ! le grand-père était là ! mais personne ne répondait. Il dormait donc ? Et, lorsque la Levaque se fut décidée à ouvrir la porte, ce qu’ils virent les arrêta sur le seuil.

Bonnemort était là, seul, les yeux larges et fixes, cloué sur une chaise, devant la cheminée froide. Autour de lui, la salle paraissait plus grande, sans le coucou, sans les meubles de sapin verni, qui l’animaient autrefois ; et il ne restait, dans la crudité verdâtre des murs, que les portraits de l’empereur et de l’impératrice, dont les lèvres roses souriaient avec une bienveillance officielle. Le vieux ne bougeait pas, ne clignait pas les paupières sous le coup de lumière de la porte, l’air imbécile, comme s’il n’avait pas même vu entrer tout ce monde. À ses pieds, se trouvait son plat garni de cendre, ainsi qu’on en met aux chats, pour leurs ordures.

— Ne faites pas attention, s’il n’est guère poli, dit la Levaque obligeamment. Paraît qu’il s’est cassé quelque chose dans la cervelle. Voilà une quinzaine qu’il n’en raconte pas davantage.

Mais une secousse agitait Bonnemort, un raclement profond qui semblait lui monter du ventre ; et il cracha dans le plat, un épais crachat noir. La cendre en était trempée, une boue de charbon, tout le charbon de la mine qu’il se tirait de la gorge. Déjà, il avait repris son immobilité. Il ne remuait plus, de loin en loin, que pour cracher.

Troublés, le cœur levé de dégoût, les Grégoire tâchaient cependant de prononcer quelques paroles amicales et encourageantes.