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LES ROUGON-MACQUART.

justement, était la pensée qui l’obsédait, cette pensée d’une menace désormais grandissante autour de ses fosses. Le directeur avait reçu l’ordre d’organiser un vaste système d’espionnage, puis de congédier un à un, sans bruit, les hommes dangereux, soupçonnés d’avoir trempé dans le crime. On se contenta de cette épuration, d’une haute prudence politique.

Il n’y eut qu’un renvoi immédiat, celui de Dansaert, le maître-porion. Depuis le scandale chez la Pierronne, il était devenu impossible. Et l’on prétexta son attitude dans le danger, cette lâcheté du capitaine abandonnant ses hommes. D’autre part, c’était une avance discrète aux mineurs, qui l’exécraient.

Cependant, parmi le public, des bruits avaient transpiré, et la Direction dut envoyer une note rectificative à un journal, pour démentir une version où l’on parlait d’un baril de poudre, allumé par les grévistes. Déjà, après une rapide enquête, le rapport de l’ingénieur du gouvernement concluait à une rupture naturelle du cuvelage, que le tassement des terrains aurait occasionnée ; et la Compagnie avait préféré se taire et accepter le blâme d’un manque de surveillance. Dans la presse, à Paris, dès le troisième jour, la catastrophe était allée grossir les faits-divers : on ne causait plus que des ouvriers agonisant au fond de la mine, on usait avidement les dépêches publiées chaque matin. À Montsou même, les bourgeois blémissaient et perdaient la parole au seul nom du Voreux, une légende se formait, que les plus hardis tremblaient de se raconter à l’oreille. Tout le pays montrait aussi une grande pitié pour les victimes, des promenades s’organisaient à la fosse détruite, on y accourait en famille se donner l’horreur des décombres, pesant si lourd sur la tête des misérables ensevelis.

Deneulin, nommé ingénieur divisionnaire, venait de tomber au milieu du désastre, pour son entrée en fonc-