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GERMINAL.

jour ? Ces enragés-là mentaient, quand ils l’accusaient de leur avoir promis une existence de mangeaille et de paresse. Et, dans cette justification, dans les raisonnements dont il essayait de combattre ses remords, s’agitait la sourde inquiétude de ne pas s’être montré à la hauteur de sa tâche, ce doute du demi-savant qui le tracassait toujours. Mais il se sentait à bout de courage, il n’était même plus de cœur avec les camarades, il avait peur d’eux, de cette masse énorme, aveugle et irrésistible du peuple, passant comme une force de la nature, balayant tout, en dehors des règles et des théories. Une répugnance l’en avait détaché peu à peu, le malaise de ses goûts affinés, la montée lente de tout son être vers une classe supérieure.

À ce moment, la voix de Rasseneur se perdit au milieu de vociférations enthousiastes.

— Vive Rasseneur ! il n’y a que lui, bravo, bravo !

Le cabaretier referma la porte, pendant que la bande se dispersait ; et les deux hommes se regardèrent en silence. Tous deux haussèrent les épaules. Ils finirent par boire une chope ensemble.

Ce même jour, il y eut un grand dîner à la Piolaine, où l’on fêtait les fiançailles de Négrel et de Cécile. Les Grégoire, depuis la veille, faisaient cirer la salle à manger et épousseter le salon. Mélanie régnait dans la cuisine, surveillant les rôtis, tournant les sauces, dont l’odeur montait jusque dans les greniers. On avait décidé que le cocher Francis aiderait Honorine à servir. La jardinière devait laver la vaisselle, le jardinier ouvrirait la grille. Jamais un tel gala n’avait mis en l’air la grande maison patriarcale et cossue.

Tous se passa le mieux du monde. Madame Hennebeau se montra charmante pour Cécile, et elle sourit à Négrel, lorsque le notaire de Montsou, galamment, proposa de boire au bonheur du futur ménage. M. Henne-