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GERMINAL.

clameur sauvage s’élevait, tous prirent des briques, les cassèrent, les jetèrent, pour l’éventrer, comme ils avaient voulu éventrer les soldats. Étourdi, il ne fuyait plus, il leur faisait face, cherchant à les calmer avec des phrases. Ses anciens discours, si chaudement acclamés jadis, lui remontaient aux lèvres. Il répétait les mots dont il les avait grisés, à l’époque où il les tenait dans sa main, ainsi qu’un troupeau fidèle ; mais sa puissance était morte, des pierres seules lui répondaient ; et il venait d’être meurtri au bras gauche, il reculait, en grand péril, lorsqu’il se trouva traqué contre la façade de l’Avantage.

Depuis un instant, Rasseneur était sur sa porte.

— Entre, dit-il simplement.

Étienne hésitait, cela l’étouffait, de se réfugier là.

— Entre donc, je vais leur parler.

Il se résigna, il se cacha au fond de la salle, pendant que le cabaretier bouchait la porte de ses larges épaules.

— Voyons, mes amis, soyez raisonnables… Vous savez bien que je ne vous ai jamais trompés, moi. Toujours j’ai été pour le calme, et si vous m’aviez écouté, vous n’en seriez pas, à coup sûr, où vous en êtes.

Dodelinant des épaules et du ventre, il continua longuement, il laissa couler son éloquence facile, d’une douceur apaisante d’eau tiède. Et tout son succès d’autrefois lui revenait, il reconquérait sa popularité sans effort, naturellement, comme si les camarades ne l’avaient pas hué et traité de lâche, un mois plus tôt. Des voix l’approuvaient : très bien ! on était avec lui ! voilà comment il fallait parler ! Un tonnerre d’applaudissements éclata.

En arrière, Étienne défaillait, le cœur noyé d’amertume. Il se rappelait la prédiction de Rasseneur, dans la forêt, lorsque celui-ci l’avait menacé de l’ingratitude des foules. Quelle brutalité imbécile ! quel oubli abomi-