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LES ROUGON-MACQUART.

la déshabillait devant le jeune homme, pour la coucher, elle s’était imaginé un instant que sa fille, elle aussi, lui revenait avec une balle au ventre, car la chemise avait de larges taches de sang. Mais elle comprit bientôt, c’était le flot de la puberté qui crevait enfin, dans la secousse de cette journée abominable. Ah ! une chance encore, cette blessure ! un beau cadeau, de pouvoir faire des enfants, que les gendarmes, ensuite, égorgeraient ! Et elle n’adressait pas la parole à Catherine, pas plus d’ailleurs qu’elle ne parlait à Étienne. Celui-ci couchait avec Jeanlin, au risque d’être arrêté, saisi d’une telle répugnance à l’idée de retourner dans les ténèbres de Réquillart, qu’il préférait la prison : un frisson le secouait, l’horreur de la nuit après toutes ces morts, la peur inavouée du petit soldat qui dormait là-bas, sous les roches. D’ailleurs, il rêvait de la prison comme d’un refuge, au milieu du tourment de sa défaite ; mais on ne l’inquiétait même pas, il traînait des heures misérables, ne sachant à quoi fatiguer son corps. Parfois, seulement, la Maheude les regardait tous les deux, lui et sa fille, d’un air de rancune, en ayant l’air de leur demander ce qu’ils faisaient chez elle.

De nouveau, on ronflait tous en tas, le père Bonnemort occupait l’ancien lit des deux mioches, qui dormaient avec Catherine, maintenant que la pauvre Alzire n’enfonçait plus sa bosse dans les côtes de sa grande sœur. C’était en se couchant que la mère sentait le vide de la maison, au froid de son lit devenu trop large. Vainement elle prenait Estelle pour combler le trou, ça ne remplaçait pas son homme ; et elle pleurait sans bruit pendant des heures. Puis, les journées recommençaient à couler comme auparavant : toujours pas de pain, sans qu’on eût pourtant la chance de crever une bonne fois ; des choses ramassées à droite et à gauche, qui rendaient aux misérables le mauvais ser-