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GERMINAL.

vacillement pâlissait ses yeux noirs, la courte angoisse de la lésion dont il couvait l’inconnu, dans sa belle santé de jeunesse. Un instant, il resta les regards noyés au fond des ténèbres de la mine ; et, à cette profondeur, sous le poids et l’étouffement de la terre, il revoyait son enfance, sa mère jolie encore et vaillante, lâchée par son père, puis reprise après s’être mariée à un autre, vivant entre les deux hommes qui la mangeaient, roulant avec eux au ruisseau, dans le vin, dans l’ordure. C’était là-bas, il se rappelait la rue, des détails lui revenaient : le linge sale au milieu de la boutique, et des ivresses qui empuantissaient la maison, et des gifles à casser les mâchoires.

— Maintenant, reprit-il d’une voix lente, ce n’est pas avec trente sous que je pourrai lui faire des cadeaux… Elle va crever de misère, c’est sûr.

Il eut un haussement d’épaules désespéré, il mordit de nouveau dans sa tartine.

— Veux-tu boire ? demanda Catherine qui débouchait sa gourde. Oh ! c’est du café, ça ne te fera pas de mal… On étouffe, quand on avale comme ça.

Mais il refusa : c’était bien assez de lui avoir pris la moitié de son pain. Pourtant, elle insistait d’un air de bon cœur, elle finit par dire :

— Eh bien ! je bois avant toi, puisque tu es si poli… Seulement, tu ne peux plus refuser à présent, ce serait vilain.

Et elle lui tendit sa gourde. Elle s’était relevée sur les genoux, il la voyait tout près de lui, éclairée par les deux lampes. Pourquoi donc l’avait-il trouvée laide ? Maintenant qu’elle était noire, la face poudrée de charbon fin, elle lui semblait d’un charme singulier. Dans ce visage envahi d’ombre, les dents de la bouche trop grande éclataient de blancheur, les yeux s’élargissaient, luisaient avec un reflet verdâtre, pareils