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GERMINAL.

Négrel et de Dansaert, à la fenêtre de la recette. Souvarine était derrière eux, le front barré d’une grande ride, comme si le clou de son idée fixe se fût imprimé là, menaçant. De l’autre côté de l’horizon, au bord du plateau, Bonnemort n’avait pas bougé, calé d’une main sur sa canne, l’autre main aux sourcils pour mieux voir, en bas, l’égorgement des siens. Les blessés hurlaient, les morts se refroidissaient dans des postures cassées, boueux de la boue liquide du dégel, çà et là envasés parmi les taches d’encre du charbon, qui reparaissaient sous les lambeaux salis de la neige. Et, au milieu de ces cadavres d’hommes, tout petits, l’air pauvre avec leur maigreur de misère, gisait le cadavre de Trompette, un tas de chair morte, monstrueux et lamentable.

Étienne n’avait pas été tué. Il attendait toujours, près de Catherine tombée de fatigue et d’angoisse, lorsqu’une voix vibrante le fit tressaillir. C’était l’abbé Ranvier, qui revenait de dire sa messe, et qui, les deux bras en l’air, dans une fureur de prophète, appelait sur les assassins la colère de Dieu. Il annonçait l’ère de justice, la prochaine extermination de la bourgeoisie par le feu du ciel, puisqu’elle mettait le comble à ses crimes, en faisant massacrer les travailleurs et les déshérités de ce monde.