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GERMINAL.

visage. Il fallait toute la force de la consigne pour les tenir ainsi, la face muette, dans le hautain et triste silence de la discipline militaire.

Une collision semblait fatale, lorsqu’on vit sortir, derrière la troupe, le porion Richomme, avec sa tête blanche de bon gendarme, bouleversée d’émotion. Il parlait tout haut.

— Nom de Dieu, c’est bête à la fin ! On ne peut pas permettre des bêtises pareilles.

Et il se jeta entre les bayonnettes et les mineurs.

— Camarades, écoutez-moi… Vous savez que je suis un vieil ouvrier et que je n’ai jamais cessé d’être un des vôtres. Eh bien ! nom de Dieu ! je vous promets que, si l’on n’est pas juste avec vous, ce sera moi qui dirai aux chefs leurs quatre vérités… Mais en voilà de trop, ça n’avance à rien de gueuler des mauvaises paroles à ces braves gens et de vouloir se faire trouer le ventre.

On écoutait, on hésitait. En haut, malheureusement, reparut le profil aigu du petit Négrel. Il craignait sans doute qu’on ne l’accusât d’envoyer un porion, au lieu de se risquer lui-même ; et il tâcha de parler. Mais sa voix se perdit au milieu d’un tumulte si épouvantable, qu’il dut quitter de nouveau la fenêtre, après avoir simplement haussé les épaules. Richomme, dès lors, eut beau les supplier en son nom, répéter que cela devait se passer entre camarades : on le repoussait, on le suspectait. Mais il s’entêta, il resta au milieu d’eux.

— Nom de Dieu ! qu’on me casse la tête avec vous, mais je ne vous lâche pas, tant que vous serez si bêtes !

Étienne, qu’il suppliait de l’aider à leur faire entendre raison, eut un geste d’impuissance. Il était trop tard, leur nombre maintenant montait à plus de cinq cents. Et il n’y avait pas que des enragés, accourus pour chasser les Borains : des curieux stationnaient, des farceurs qui s’amusaient de la bataille. Au milieu d’un