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LES ROUGON-MACQUART.

Déjà, elle avait rompu les tartines en deux. Le jeune homme, prenant sa moitié, se retint pour ne pas la dévorer d’un coup ; et il posait les bras sur ses cuisses, afin qu’elle n’en vît point le frémissement. De son air tranquille de bon camarade, elle venait de se coucher près de lui, à plat ventre, le menton dans une main, mangeant de l’autre avec lenteur. Leurs lampes, entre eux, les éclairaient.

Catherine le regarda un moment en silence. Elle devait le trouver joli, avec son visage fin et ses moustaches noires. Vaguement, elle souriait de plaisir.

— Alors, tu es machineur, et on t’a renvoyé de ton chemin de fer… Pourquoi ?

— Parce que j’avais giflé mon chef.

Elle demeura stupéfaite, bouleversée dans ses idées héréditaires de subordination, d’obéissance passive.

— Je dois dire que j’avais bu, continua-t-il, et quand je bois, cela me rend fou, je me mangerais et je mangerais les autres… Oui, je ne peux pas avaler deux petits verres, sans avoir le besoin de manger un homme… Ensuite, je suis malade pendant deux jours.

— Il ne faut pas boire, dit-elle sérieusement.

— Ah ! n’aie pas peur, je me connais !

Et il hochait la tête, il avait une haine de l’eau-de-vie, la haine du dernier enfant d’une race d’ivrognes, qui souffrait dans sa chair de toute cette ascendance trempée et détraquée d’alcool, au point que la moindre goutte en était devenue pour lui un poison.

— C’est à cause de maman que ça m’ennuie d’avoir été mis à la rue, dit-il après avoir avalé une bouchée. Maman n’est pas heureuse, et je lui envoyais de temps à autre une pièce de cent sous.

— Où est-elle donc, ta mère ?

— À Paris… Blanchisseuse, rue de la Goutte-d’Or.

Il y eut un silence. Quand il pensait à ces choses, un