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GERMINAL.

Mais il y eut dans la foule une longue secousse, et une vieille femme déboula. C’était la Brûlé, effrayante de maigreur, le cou et les bras à l’air, accourue d’un tel galop, que des mèches de cheveux gris l’aveuglaient.

— Ah ! nom de Dieu, j’en suis ! balbutiait-elle, l’haleine coupée. Ce vendu de Pierron qui m’avait enfermée dans la cave !

Et, sans attendre, elle tomba sur l’armée, la bouche noire, vomissant l’injure.

— Tas de canailles ! tas de crapules ! ça lèche les bottes de ses supérieurs, ça n’a de courage que contre le pauvre monde !

Alors, les autres se joignirent à elle, ce furent des bordées d’insultes. Quelques-uns criaient encore : « Vivent les soldats ! au puits l’officier ! » Mais bientôt il n’y eut plus qu’une clameur : « À bas les pantalons rouges ! » Ces hommes qui avaient écouté, impassibles, d’un visage immobile et muet, les appels à la fraternité, les tentatives amicales d’embauchage, gardaient la même raideur passive, sous cette grêle de gros mots. Derrière eux, le capitaine avait tiré son épée ; et, comme la foule les serrait de plus en plus, menaçant de les écraser contre le mur, il leur commanda de croiser la bayonnette. Ils obéirent, une double rangée de pointes d’acier s’abattit devant les poitrines des grévistes.

— Ah ! les jean-foutre ! hurla la Brûlé, en reculant.

Déjà, tous revenaient, dans un mépris exalté de la mort. Des femmes se précipitaient, la Maheude et la Levaque clamaient :

— Tuez-nous, tuez-nous donc ! Nous voulons nos droits.

Levaque, au risque de se couper, avait saisi à pleines mains un paquet de bayonnettes, trois bayonnettes, qu’il secouait, qu’il tirait à lui, pour les arracher ; et il les tordait, dans les forces décuplées de sa colère, tan-