Page:Zola - Germinal.djvu/464

Cette page a été validée par deux contributeurs.
464
LES ROUGON-MACQUART.

— Il n’est pas rentré, je me couche… Je t’en supplie, va-t’en !

Étienne s’en alla. Le dégel augmentait, un ruissellement d’averse tombait des toitures, une sueur d’humidité coulait des murailles, des palissades, de toutes les masses confuses de ce faubourg industriel, perdues dans la nuit. D’abord, il se dirigea vers Réquillart, malade de fatigue et de tristesse, n’ayant plus que le besoin de disparaître sous la terre, de s’y anéantir. Puis, l’idée du Voreux le reprit, il songeait aux ouvriers belges qui allaient descendre, aux camarades du coron exaspérés contre les soldats, résolus à ne pas tolérer des étrangers dans leur fosse. Et il longea de nouveau le canal, au milieu des flaques de neige fondue.

Comme il se retrouvait près du terri, la lune se montra très claire. Il leva les yeux, regarda le ciel, où passait le galop des nuages, sous les coups de fouet du grand vent qui soufflait là-haut ; mais ils blanchissaient, ils s’effiloquaient, plus minces, d’une transparence brouillée d’eau trouble sur la face de la lune ; et ils se succédaient si rapides, que l’astre, voilé par moments, reparaissait sans cesse dans sa limpidité.

Le regard empli de cette clarté pure, Étienne baissait la tête, lorsqu’un spectacle, au sommet du terri, l’arrêta. La sentinelle, raidie par le froid, s’y promenait maintenant, faisant vingt-cinq pas tournée vers Marchiennes, puis revenait tournée vers Montsou. On voyait la flamme blanche de la bayonnette, au-dessus de cette silhouette noire, qui se découpait nettement dans la pâleur du ciel. Et ce qui intéressait le jeune homme, c’était, derrière la cabane où s’abritait Bonnemort pendant les nuits de tempête, une ombre mouvante, une bête rampante et aux aguets, qu’il reconnut tout de suite pour Jeanlin, à son échine de fouine, longue et désossée. La sentinelle ne pouvait l’apercevoir, ce brigand d’enfant préparait à