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LES ROUGON-MACQUART.

Et elle continua librement, elle s’accusait comme d’une faute de ce long retard de sa puberté. Cela, malgré l’homme qu’elle avait eu, la diminuait, la reléguait parmi les gamines. On a une excuse encore, lorsqu’on peut faire un enfant.

— Ma pauvre petite ! dit tout bas Étienne, saisi d’une grande pitié.

Ils étaient au pied du terri, cachés dans l’ombre du tas énorme. Un nuage d’encre passait justement sur la lune, ils ne distinguaient même plus leurs visages, et leurs souffles se mêlaient, leurs lèvres se cherchaient, pour ce baiser dont le désir les avait tourmentés pendant des mois. Mais, brusquement, la lune reparut, ils virent au-dessus d’eux, en haut des roches blanches de lumière, la sentinelle détachée du Voreux, toute droite. Et, sans qu’ils se fussent baisés enfin, une pudeur les sépara, cette pudeur ancienne où il y avait de la colère, une vague répugnance et beaucoup d’amitié. Ils repartirent pesamment, dans le gâchis jusqu’aux chevilles.

— C’est décidé, tu ne veux pas ? demanda Étienne.

— Non, dit-elle. Toi, après Chaval, hein ? et, après toi, un autre… Non, ça me dégoûte, je n’y ai aucun plaisir, pourquoi faire alors ?

Ils se turent, marchèrent une centaine de pas, sans échanger un mot.

— Sais-tu où tu vas au moins ? reprit-il. Je ne puis te laisser dehors par une nuit pareille.

Elle répondit simplement.

— Je rentre, Chaval est mon homme, je n’ai pas à coucher ailleurs que chez lui.

— Mais il t’assommera de coups !

Le silence recommença. Elle avait eu un haussement d’épaules résigné. Il la battrait, et quand il serait las, de la battre, il s’arrêterait : ne valait-il pas mieux ça, que de rouler les chemins comme une gueuse ? Puis,