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LES ROUGON-MACQUART.

vide ses poings fermés. Il était le plus grand, dégingandé, visant à la figure, par de furieux coups de taille, des deux bras, l’un après l’autre, comme s’il eût manœuvré une paire de sabres. Et il causait toujours, il posait pour la galerie, avec des bordées d’injures, qui l’excitaient.

— Ah ! sacré marlou, j’aurai ton nez ! C’est ton nez que je veux me foutre quelque part !… Donne donc ta gueule, miroir à putains, que j’en fasse de la bouillie pour les cochons, et nous verrons après si les garces de femmes courent après toi !

Muet, les dents serrées, Étienne se ramassait dans sa petite taille, jouant le jeu correct, la poitrine et la face couvertes de ses deux poings ; et il guettait, il les détendait avec une raideur de ressorts, en terribles coups de pointe.

D’abord, ils ne se firent pas grand mal. Les moulinets tapageurs de l’un, l’attente froide de l’autre, prolongeaient la lutte. Une chaise fut renversée, leurs gros souliers écrasaient le sable blanc, semé sur les dalles. Mais ils s’essoufflèrent à la longue, on entendit le ronflement de leur haleine, tandis que leur face rouge se gonflait comme d’un brasier intérieur, dont on voyait les flammes, par les trous clairs de leurs yeux.

— Touché ! hurla Chaval, atout sur ta carcasse !

En effet, son poing, pareil à un fléau lancé de biais, avait labouré l’épaule de son adversaire. Celui-ci retint un grognement de douleur, il n’y eut qu’un bruit mou, la sourde meurtrissure des muscles. Et il répondit par un coup droit en pleine poitrine, qui aurait défoncé l’autre, s’il ne s’était garé, dans ses continuels sauts de chèvre. Pourtant, le coup l’atteignit au flanc gauche, si rudement encore, qu’il chancela, la respiration coupée. Une rage le prit, de sentir ses bras mollir dans la souffrance, et il rua comme une bête, il visa le ventre pour le crever du talon.