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GERMINAL.

blait stupide. Mais Souvarine blémissait, son visage décomposé devenait effrayant, dans une de ces colères religieuses qui exterminent les peuples. Il cria :

— Vous serez tous fauchés, culbutés, jetés à la pourriture. Il naîtra, celui qui anéantira votre race de poltrons et de jouisseurs. Et, tenez ! vous voyez mes mains, si mes mains le pouvaient, elles prendraient la terre comme ça, elles la secoueraient jusqu’à la casser en miettes, pour que vous restiez tous sous les décombres.

— Bien dit ! répéta madame Rasseneur, de son air poli et convaincu.

Il se fit encore un silence. Puis, Étienne reparla des ouvriers du Borinage. Il questionnait Souvarine sur les dispositions qu’on avait prises, au Voreux. Mais le machineur, retombé dans sa préoccupation, répondait à peine, savait seulement qu’on devait distribuer des cartouches aux soldats qui gardaient la fosse ; et l’inquiétude nerveuse de ses doigts sur ses genoux s’aggravait à un tel point, qu’il finit par avoir conscience de ce qui leur manquait, le poil doux et calmant du lapin familier.

— Où donc est Pologne ? demanda-t-il.

Le cabaretier eut un nouveau rire, en regardant sa femme. Après une courte gêne, il se décida.

— Pologne ? elle est au chaud.

Depuis son aventure avec Jeanlin, la grosse lapine, blessée sans doute, n’avait plus fait que des lapins morts ; et, pour ne pas nourrir une bouche inutile, on s’était résigné, le jour même, à l’accommoder aux pommes de terre.

— Oui, tu en as mangé une cuisse ce soir… Hein ? tu t’en es léché les doigts !

Souvarine n’avait pas compris d’abord. Puis, il devint très pâle, une nausée contracta son menton ; tandis que, malgré sa volonté de stoïcisme, deux grosses larmes gonflaient ses paupières.

Mais on n’eut pas le temps de remarquer cette émotion,