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GERMINAL.

pouvait me loger une balle en plein cœur, comme ce serait crâne de finir ainsi !

Ses yeux s’étaient mouillés, dans ce cri où éclatait le secret désir du vaincu, le refuge où il aurait voulu perdre à jamais son tourment.

— Bien dit ! déclara madame Rasseneur, qui, d’un regard, jetait à son mari tout le dédain de ses opinions radicales.

Souvarine, les yeux noyés, tâtonnant de ses mains nerveuses, ne semblait pas avoir entendu. Sa face blonde de fille, au nez mince, aux petites dents pointues, s’ensauvageait dans une rêverie mystique, où passaient des visions sanglantes. Et il s’était mis à rêver tout haut, il répondait à une parole de Rasseneur sur l’Internationale, saisie au milieu de la conversation.

— Tous sont des lâches, il n’y avait qu’un homme pour faire de leur machine l’instrument terrible de la destruction. Mais il faudrait vouloir, personne ne veut, et c’est pourquoi la révolution avortera une fois encore.

Il continua, d’une voix de dégoût, à se lamenter sur l’imbécillité des hommes, pendant que les deux autres restaient troublés de ces confidences de somnambule, faites aux ténèbres. En Russie, rien ne marchait, il était désespéré des nouvelles qu’il avait reçues. Ses anciens camarades tournaient tous aux politiciens, les fameux nihilistes dont l’Europe tremblait, des fils de pope, des petits bourgeois, des marchands, ne s’élevaient pas au delà de la libération nationale, semblaient croire à la délivrance du monde, quand ils auraient tué le despote ; et, dès qu’il leur parlait de raser la vieille humanité comme une moisson mûre, dès qu’il prononçait même le mot enfantin de république, il se sentait incompris, inquiétant, déclassé désormais, enrôlé parmi les princes ratés du cosmopolitisme révolutionnaire. Son cœur de patriote se débattait pourtant, c’était avec