Page:Zola - Germinal.djvu/449

Cette page a été validée par deux contributeurs.
449
GERMINAL.

— Il y a longtemps que j’ai deviné où tu te caches. Si j’étais un mouchard comme tes amis le disent, je t’aurais depuis huit jours envoyé les gendarmes.

— Tu n’as pas besoin de te défendre, répondit le jeune homme, je sais que tu n’as jamais mangé de ce pain-là… On peut ne pas avoir les mêmes idées et s’estimer tout de même.

Et le silence régna de nouveau. Souvarine avait repris sa chaise, le dos à la muraille, les yeux perdus sur la fumée de sa cigarette ; mais ses doigts fébriles étaient agités d’une inquiétude, il les promenait le long de ses genoux, cherchant le poil tiède de Pologne, absente ce soir-là ; et c’était un malaise inconscient, une chose qui lui manquait, sans qu’il sût au juste laquelle.

Assis de l’autre côté de la table, Étienne dit enfin :

— C’est demain que le travail reprend au Voreux. Les Belges sont arrivés avec le petit Négrel.

— Oui, on les a débarqués à la nuit tombée, murmura Rasseneur resté debout. Pourvu qu’on ne se tue pas encore !

Puis, haussant la voix :

— Non, vois-tu, je ne veux pas recommencer à nous disputer, seulement ça finira par du vilain, si vous vous entêtez davantage… Tiens ! votre histoire est tout à fait celle de ton Internationale. J’ai rencontré Pluchart avant-hier à Lille, où j’avais des affaires. Ça se détraque, sa machine, paraît-il.

Il donna des détails. L’Association, après avoir conquis les ouvriers du monde entier, dans un élan de propagande, dont la bourgeoisie frissonnait encore, était maintenant dévorée, détruite un peu chaque jour, par la bataille intérieure des vanités et des ambitions. Depuis que les anarchistes y triomphaient, chassant les évolutionnistes de la première heure, tout craquait, le but primitif, la réforme du salariat, se noyait au milieu du